Quand en 1999 Rick Levine et ses acolytes offrent au monde le manifeste des évidences (Cluetrain manifesto), ils n’avaient certainement pas en tête le terme Employee Advocacy.
Un lecteur attentif trouverait cependant que certaines des 95 thèses de ce livre évoquent de manière troublante cette nouvelle façon qu’ont les entreprises d’entrer en conversation avec leurs clients et prospects.

Les marchés sont des conversations

Les réseaux sociaux dans leur forme actuelle n’existent pas. Il y a des logiciels de chat (coucou ICQ), des forums mais pas de LinkedIn, Facebook ou Twitter pour ne citer que les plus connues. Nous vivons à l’ère des mass media et les marques ne discutent pas avec leurs clients. Elles produisent, nous consommons et nous faisons entendre notre voix, a posteriori, auprès de leur service client. Bienvenue en 1999.

L’Internet permet des conversations entre êtres humains qui étaient tout simplement impossibles à l’ère des mass media

Et puis les réseaux sociaux sont arrivés et l’ère des mass media a pris fin (enfin pas tout à fait). Les consommateurs ont commencé à s’informer sur Internet et nous sommes entrés dans l’ère de la multitude. Des humains connectés entre eux capables d’influencer la bonne marche des marchés.

Les entreprises sont entrées avec un retard certain dans cette conversation planétaire. Elles ont dû faire le deuil du mass-market. Elles ont confié la communication sur les réseaux sociaux au service communication qui n’a fait que reproduire ce qui se faisait avant. Les discours ciselés et corporate ont commencé à envahir ce que l’on appelait la toile.

Les entreprises qui supposent que les marchés en ligne sont les mêmes marchés que ceux qui regardaient leur publicité à la télévision, se moquent d’elles-mêmes

Certaines « plus rapides » ont fait appel à des community manager tout en intégrant ces derniers au sein des services communications, avant de comprendre que le marketing devait intégrer les réseaux sociaux dans leurs processus de réflexion, puis les commerciaux et finalement l’ensemble des collaborateurs de l’organisation.

Les conversations entre humains sonnent de façon humaine. Elles sont menées sur un ton humain

Pourquoi n’avons-nous aucune empathie pour une marque, une entreprise ?
Kodak est mort et personne n’est allé à son enterrement. Google est gentille ou méchante ?

Les entreprises sont des constructions intellectuelles et bien que nous parlions de personne morale, ce ne sont pas des personnes. Les entreprises n’ont pas d’émotions. Les humains qui bossent au sein de ces entreprises oui. C’est avec eux que nous voulons parler ; c’est à travers eux que nous aimons interagir avec une marque.

Employee advocacy : Une énième tentative de contrôle de la conversation

Près de 20 ans se sont écoulés et une majorité des dirigeants d’entreprises et leurs top managers continuent de s’accrocher à l’ancien monde et essayent, en vain, de contrôler la conversation entre les collaborateurs et les clients. Ils les appellent ambassadeurs, terme qu’ils utilisent aussi bien pour leurs clients externes qu’internes, et imaginent qu’ils sont encore en mesure de contrôler ce qu’ils vont se dire en utilisant des logiciels pour « piloter » et « mesurer » cette conversation.

La plupart des entreprises qui mettent en place ce type de « programme » ces derniers temps le font sans réelle vision et les résultats seront au moins aussi médiocres que les « programmes » d’intranets déployés il y a 10 ans et qui aujourd’hui servent de « journal interne 2.0 » aux directions.

Faut-il abandonner votre réflexion sur l’Employee Advocacy ?

Ce serait vraiment dommage quand on sait que l’expérience que vous offrez à vos clients dépend fortement de la conversation qu’ils entretiennent avec vos collaborateurs. C’est une mauvaise idée quand on sait que donner la libre parole à vos équipes est un moyen efficace de soutenir vos processus de recrutement. Laisser le marketing et les ventes prendre la parole est injuste à l’égard de l’ensemble des acteurs de l’organisation sachant que tout le monde à quelque chose à dire de votre entreprise.

J’entends souvent dire « Oui mais le social selling, l’inbound marketing, l’employee advocacy c’est un terme à la mode qui va passer ». Ce sont les directions qui font que le concept se transforme en lâcher de paillettes ou en mutation profonde de l’entreprise.

Voici quelques pistes pour que votre programme d’employee advocacy soit un vrai levier de transformation de votre organisation

#1 – Donner du temps au temps

Comme le dit justement Rodolphe Roux, « Il faut accepter que cela va prendre du temps, que les batailles sont nombreuses et sur chaque détail ». Vous êtes en marche pour changer la culture de votre entreprise, pas son plan de communication.
La culture demande d’investir sur le long terme et de ne pas précipiter les choses. Si vous n’avez pas assez de temps devant vous, voyez comment en trouver.

#2 – Misez sur l’humain avant de miser sur les outils

Le témoignage de Philippe Bosch Y Palmer est la preuve qu’il faut investir dans la formation et le coaching des collaborateurs.
N’imaginez même pas pouvoir vous en tirer avec du saupoudrage. Une petite journée de formation aux réseaux sociaux pour dire que c’est fait n’est pas la bonne approche. Participer à la grande conversation n’est pas naturel pour l’ensemble de vos collaborateurs.
Identifiez les champions (vous allez avoir des surprises) et offrez-leur un accès VIP aux outils et experts que vous aurez invité au sein de votre société.

#3 – La symétrie de l’attention comme boussole

Patrice Laubignat en parle mieux que moi. « La question est d’importance puisque aujourd’hui les entreprises (les marques) prennent conscience que leurs premiers clients sont leurs propres salariés ». Dans le champ de l’expérience client, le concept de symétrie des attentions occupe une place centrale. Traitez vos collaborateurs comme vous souhaitez qu’ils traitent vos clients. Vos prospects et clients aiment parler avec vos salariés. Laissez-les faire car c’est leur job depuis longtemps (aussi longtemps que vous les avez embauchés pour faire ce job).

#4 – Invitez le monde extérieur

La particularité d’un projet d’employee advocacy est liée à la dimension culturelle de ce dernier. C’est vrai pour de nombreux projets, toutefois vous allez « jouer » avec la corde sensible de vos collaborateurs. Vous allez interroger leurs valeurs.
Comment réagir face à un collaborateur qui ne souhaite pas partager certaines de vos valeurs en dehors du cercle professionnel ?
Quid de ceux qui sont introvertis, trop timides ?
Au-delà des expertises variées nécessaires à la bonne marche d’un tel projet, laisser à des individus extérieurs le soin de recueillir la parole des collaborateurs est un excellent moyen d’augmenter les chances de succès du projet.

Comme d’autres transformations que vous devez lancer au sein de votre organisation, celle qui consiste à créer un lieu d’échanges et de conversations entre vos collaborateurs et vos clients est certainement l’une des plus importante et celle qui va générer le plus de valeur.
Envisagez-la comme une transformation stratégique de votre entreprise. À ce titre, accordez du temps à ce projet et entourez-vous des meilleurs.